Lettre au marchand de meubles,
Tu me dis tu, tu me dis vous, tu me dis tout. On m’a dit de faire
une phrase, je n'avais pas les mots, aucun mot, pas même un début, une syllabe,
une toute petite consonne rien. J’ai quand même fait une phrase, qui ne tenait
pas debout toute seule, qui avait besoin d'une canne, qui n'était précédée de
rien, qui ne serait suivie de rien. On ne souffle même pas dessus, elle
n'existe pas, elle n'existait pas.
Aujourd'hui, j'ai des milliers de mots, des mots en vrac, des mots
en pagaille, des mots en toc qui sont du présent du passé de l’avenir, qui s’accordent
qui se lient et se délient, qui s’assemblent et se renient. Je n’arrive plus à
faire de phrase, je ne suis pas capable de les rassembler, les disposer, les
assortir, les effacer, les recoller, même une pauvrette, une qui va vite, sans
verbe, sans verve, sans vers. Même un autocollant de bagnole, même ça. Rester au
fond de la classe, comme d’habitude. Y a ceux qui y arrivent, avec leur cahier
tout propre, leurs phrases toutes propres et leurs cheveux tous propres. Y a
les autres aussi, ceux qui galèrent, qui ramènent leur cahier corné et leurs
taches d’encre sur les mains. C'est plus facile d'être du côté des cancres
du sentiment, ceux à qui on ne demande plus de compte, ceux qu’on excuse
facilement, ceux qui déçoivent toujours, ceux qui ne sont pas ceux qu’il faut.
J’aurais eu 4 je pense, à peine pour la présentation, au moins d’avoir joliment
souligné la consigne, on la recopie alors que ca ne sert à rien, n’empêche qu’on
a rien d’autre. Ce n’est pas dans les cahiers, ni dans les livres, ni nulle
part, c’est juste là. Ici, là. Tu le sens ? Sur ce matelas ? Mais non, putain, on s'en fou, c'est au delà. C'est là, tu comprends.
Une sordide histoire de vertige, de truc qui t’arrache le bide,
que tu sens vivant en toi, qui t'emporte, qui t'ennivre. Comme un monstre qui t’anéantit à mesure qu’il grandit,
qui te bouffe tout, t’arrache tout. Rien n’a plus sens, rien n’en a moins non
plus. On croit au Big Bang et personne n'a jamais remis en cause le fait qu'on appelle une fourchette une fourchette, alors, non, rien n'a jamais de sens. Le rendez-vous du hasard ou le hasard d’un rendez-vous, laissons les jolis
mots a ceux qui en font des jolies phrases. Nous on se contentera de peu, ce
sera déjà bien. Un vulgaire placard face à un joli pieu, ca ne reste toujours
qu’une histoire de meuble.
Gie
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire